Une savoureuse histoire des Cévennes
"LE PETIT ANE DE BANNE"
Il
y avait une fois un pauvre petit âne attaché à un pieu par une forte
chaîne
d'une dizaine de mètres de longueur. Il tournait autour de son point
d'attache
broutant la maigre végétation de plantes aromatiques qui poussent
péniblement
sur le piton qui domine la plaine, près des mines du vieux castel de
Banne.
Il
était loin de se douter du danger qu'il allait courir en cette belle
matinée de
juillet 1944. En effet les Allemands, venus en force, étaient bien
décidés à
exterminer les maquisards de la région, qui dans le bois de Païolive
venaient
de faire subir de sérieuses pertes à un détachement de l'armée
allemande.
Les
maquisards bien renseignés s'étaient dispersés dans les collines
environnantes et
avaient prévu un chemin de repli. Jamais ils ne leur seraient venu à
l'idée de
se poster dans les ruines du château de Banne près de l'endroit où
broutait
paisiblement notre brave baudet.
Dans
de nombreux replis de montagne des nids de mitrailleuses ou de fusils
mitrailleurs crépitaient de toutes parts. Les Allemands qui avaient
déjà essuyé
des revers à quelques kilomètres de Banne répondaient aux maquisards
par des
tirs nourris de mortiers et d'armes automatiques.
De la route, en contre-bas, un
soldat allemand posté dans
une des trois ou quatre chenillettes blindées qui encadraient les
camions
aperçut là-haut tout près du château quelque chose d'insolite. Jumelles
en
mains, l'officier observe et pensant que c'était un guetteur maquisard
qui
faisait des signaux à ses amis. Il fit aussitôt mettre un mortier en
batterie
sur l'objectif à détruire, et pendant plus d'une heure, les tirs étant
tantôt
trop longs, tantôt trop courts, les oreilles de notre petit âne, qui se
profilaient dans le ciel bleu au dessus de la rocaille, servirent de
cible aux
Allemands.
Quand
les obus claquaient trop près, il tournait à une vitesse folle autour
de son
pieu, ainsi les oreilles disparaissaient et réapparaissaient aux yeux
de
Allemands ce qui avait pour effet de les énerver et d'intensifier le
bombardement. Ils épuisèrent le petit âne à force de le faire tourner,
mais
jamais ils ne purent l'atteindre, ils réussirent tout juste à allumer
un feu de
broussailles.
Ainsi
notre héroïque baudet, qui fut pris comme butin de guerre, occupe sans
le
savoir une bonne partie du temps des Allemands.
De
leur côté les maquisards en profitèrent comme l'on dit pour se replier
sur des
positions prévues d'avance.
Et
c'est ainsi que le petit âne de Banne prit bonne place sinon dans la
légende,
du moins dans les souvenirs de ceux qui vécurent cette journée.
Raymond Aubaret